Dans les années 20, le jeune Preston Tucker travaille comme messager chez Cadillac, où il distribue le courrier en patins à roulettes. Passionné d’automobiles, en 1935 il décide déjà de s’associer avec Harry Miller, célèbre ingénieur, qui durant les années 20 et 30 bat plusieurs records de vitesse aquatique. La société Miller et Tucker naît pour construire des voitures destinées à l’édition d’Indianapolis de 1935. Faute d’argent, le projet n’ira pas à son terme.
En 1936, l’armée rejette l’un de ses prototypes de véhicule d’assaut. Trop rapide… En effet, le véhicule dépasse les 50 km/h imposés par le cahier des charges. La tourelle électrique de ce véhicule va en revanche être immédiatement adoptée. La tourelle Tucker est ainsi utilisée sur les avions et les chars de l’armée américaine pendant de la seconde guerre.
Un cahier des charges… du 21è siècle
Visionnaire il caresse le rêve insensé de concevoir et produire la meilleure automobile au monde. Pour cela, fin 1946, Tucker engage Alexander Sarantos Tremulis, un ancien conseiller ayant travaillé chez Ford, Cord et Plymouth.
Tucker lance son projet de nouvelle voiture et impose un cahier des charges très précis et révolutionnaire : ligne ponton intégrant les phares dans les ailes, moteur à l’arrière permettant de ranger des valises sous le capot avant, vitesse de 205 km/h, vitres de sécurité, pare-brise éjectable, habitacle indéformable, tableau de bord en mousse, portes avec ouverture en buffet (pour ne plus toucher le trottoir), ceintures de sécurité à l’avant et à l’arrière phares tournant avec les roues, constitution du premier réseau commercial et de réparation .
L’As du marketing : vendre avant de produire
Le nerf de la guerre étant l’argent, Tucker cherche des investisseurs qu’il ne trouve pas. Il a alors une idée de génie (une de plus) : vendre sa voiture avant qu’elle n’existe ! Pour cela il publie un article dans la presse pour vanter sa voiture révolutionnaire. Le succès est foudroyant et déchaîne la curiosité des passionnés d’automobile qui souhaitent savoir où se la procurer.
Tucker essaie de vendre son projet auprès des directeurs de l’Administration des biens de la défense (à qui il avait venu ses tourelles d’avion et de char). Il mise tout sur la sécurité. Pour cela, il passe un diaporama montrant des personnes blessées lors d’accidents de la route. II met en avant ses phares tournants suivant la direction des roues qui éclairent mieux les bas-côtés, ses vitres de sécurité, ses ceintures de sécurité ainsi que le pare-brise éjectable. Le comité est d’autant plus sensible à cet argument que les trois géants de Détroit General Motors, Chrysler et Ford font fi de ce point dans leur production.
Des portes avec ouverture en buffet
Alexander Sarantos retouche l’allure du premier prototype en favorisant l’aérodynamisme et en modifiant le dessin des portes. Ces dernières ne touchent plus le trottoir avec des ouvertures façon buffet. Il reste maintenant à Preston Tucker à rechercher des capitaux et une usine afin de commencer à assembler ses futurs véhicules. L’ancienne usine de fabrication des avions B29 de la guerre (Superforteresse) de Chicago fait amplement l’affaire. Tucker doit construire très vite 50 véhicules et entrer dans le cercle fermé des constructeurs d’automobiles. Il a 60 jours pour réaliser un prototype… alors que les principaux constructeurs mettent 9 mois à concevoir un modèle.
Ces derniers vont œuvrer, avec la complicité du gouvernement Roosevelt et du Gouverneur de l’Illinois, à la destruction du projet. L’approvisionnement en acier est bloquée ce qui va en faire doubler le prix et par ricochet celui de la Tucker. Le gouverneur de l’Illinois va également tenter d’éliminer tous les éléments dignes de progrès de la voiture : le moteur à l’arrière, les ceintures de sécurité … mais Preston Thomas Tucker résiste malgré tout.
Un moteur d’hydravion démontable en ½ heure
Le salut lui vient de la société Air Cooled Motor, qui fabrique des hélicoptères à Syracuse. En mars 1948, cette dernière propose à Tucker son aciérie en mauvaise situation financière. Cela doit lui permettre de contourner le problème de la hausse de l’acier. Il lui propose également à la vente un moteur d’hydravion en aluminium. Ce moteur six cylindres de 5.5 l (335 ci) annonce 166 chevaux.
Ce moteur procure à cette propulsion des performances impressionnantes pour l’époque : 192 km/h en vitesse de pointe et un chrono de dix secondes pour boucler le 0 à 100 km/h. A noter que ce moteur est démontable en une demi-heure ! Il va être testée en endurance sur un anneau de vitesse et servir une nouvelle fois de publicité. La voiture fera malheureusement plusieurs tonneaux ce qui ne permettra que de valider le pare-brise éjectable…
FBI, course poursuite et procès
Mis sur écoute, Tucker est suivi 24 heures sur 24 par le FBI. La radio nationale annonce qu’une commission d’enquête financière s’apprête à révéler une énorme escroquerie. Selon elle, la Tucker ne comporte aucune des caractéristiques futuristes annoncées. La commission veut faire la lumière sur l’utilisation des 26 millions de dollars rassemblés par Tucker pour fabriquer les véhicules.
Lorsque l’on vient à son domicile pour l’arrêter, Tucker s’enfuit au volant d’une de ses voitures, la police à ses trousses dans la ville. Les comptes de Tucker sont saisis par la Commission de surveillance de la Bourse. La fermeture de l’usine est annoncée alors que 47 voitures sont produites. Le contrat de départ stipule que, pour que l’usine soit conservée, 50 véhicules doivent être fabriqués. Il en manque donc trois, qui seront réalisées en quatre semaines.
Le procès de Tucker a lieu en 1949 dans la salle même où a été jugé Al Capone. Tucker est accusé d’escroquerie, de détournement de fonds, de publicité mensongère par correspondance ainsi que de diverses atteintes au règlement de la Commission de surveillance de la Bourse. Il encourt une peine maximale de 155 ans d’emprisonnement et une amende de 60 000 dollars.
Au tribunal, les trois de Détroit influencent le jury. Ils assurent que la comptabilité est fausse. Mais Véra, la femme de Preston, arrive à démontrer, factures à l’appui, que les sommes avancées sont bien réelles. Tucker a tenu à assurer seul sa plaidoirie. Il veut démontrer qu’il a bien honoré son accord. Le jury peut effectivement voir qu’il y a 50 voitures garées devant le palais de justice. Mais il est trop tard. Les preuves ne sont plus recevables. Son insistance l’expose seulement à un outrage à magistrats. Tucker est innocenté par le jury qui insiste pour aller essayer les voitures. L’usine est malgré tout fermée et convertie dès le matin du jugement en logements sociaux. Preston a l’interdiction de poursuivre l’aventure. The game is over.
Tucker a réussi son pari de produire 50 Tucker avant la fermeture de son usine. Sur les 50 produites, 46 sillonnent encore la planète. Un dernier exemplaire (châssis no 52) ayant été trouvé non terminé dans l’usine fut terminé officieusement avec les dernières pièces détachées disponibles et est estimé entre 950 000 et 1,25 million de dollars. Comme Tucker les voitures, elles non plus, ne voulaient pas mourir. Francis “Ford” Copolla parachèvera la légende en tournant un film, avec Jeff bridges dans le rôle titre, retraçant l’épopée éphémère de cette marque peu avare de promesses.
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